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La révolte Phnong de 1912-1914

Suite à l’instauration du protectorat français en 1863, la question du statut des minorités ethniques du nord-est du Cambodge se posa rapidement pour les autorités coloniales. Si certaines de ces communautés étaient soumises à l’administration cambodgienne, d’autres villages étaient quasiment indépendants, comme l'explique Adhémard Leclère, résident de Sambor en 1891: « Les Peunongs de Poulo Pouklia ne payent aucun impôt au roi du Cambodge, n’acquittent aucune redevance, ne rendent aucun hommage et ne reconnaissent point l’autorité des mandarins cambodgiens. J’ajouterai que ces derniers les reconnaissent pour indépendants et ne leur donnent aucun ordre. »

Si la France réussit d'abord à obtenir des soumissions en prenant opportunément le parti des Phnong dans des conflits avec l’administration cambodgienne, l'interprétation de ces accords était cependant radicalement opposée entre les Phnongs, qui les considérait comme la garantie du maintien de leur mode de vie, et les Français, pour qui ils préparaient en réalité une implantation durable dans la région. Les Phnongs finiront par se révolter face aux impôts excessifs et l'augmentation de la population khmère.

En 1912, un incident va engendrer un mouvement d'insurrection de grande ampleur: des miliciens, venus réquisitionner des éléphants dans le village de Bu Rlam, sont poursuivis et exécutés suite au viol de la belle fille de son chef, le Koragn Pa Trang Loeung. En représailles, le village du chef rebelle est attaqué et brûlé par l'armée. Pa Trang Loeung prend alors le maquis et devient le leader d'une révolte qui s'étendra rapidement, son charisme lui permettant d'unifier le soulèvement. En 1914, l'assassinat d'Henri Maitre dans le village de Mera, marquera un coup d'arrêt d'une quinzaine d'années pour l'implantation française dans la région, l’administration française n'ayant plus de représentants sur place.


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Henri Maître, photographie publiée en 1909
dans son premier ouvrage:
Les régions Moï du Sud Indo-Chinois

Henri Maitre était un acteur majeur de l'implantation française au Cambodge où il mena des expéditions d'exploration et de pacification des tribus indigènes. Au cours de ces missions, il se découvrit un intérêt profond pour les langues et cultures des tribus des hauts plateaux du Cambodge. Il leur consacrera un ouvrage, "les Jungles Moï", dans lequel il exprimait ses craintes pour l'avenir de ces tribus: "Que l'on se hâte d'étudier ces tribus, encore magnifiquement sauvages, indépendantes et heureusement parfois belliqueuses; étudions-les comme des sujets précieux qui vont disparaître; dans quelques années ils seront civilisés, par conséquence perdus, moralement et physiquement, pourris et gangrenés". Cependant, Henri Maître considérait sa mission comme légitime et n'hésitait pas à utiliser la manière forte contre les tribus s'il ne parvenait pas à obtenir ce qu'il souhaitait par la négociation, brûlant des villages et prenant des otages, y compris femmes et enfants...

Il faudra attendre les années trente pour les autorités coloniales amorcent un retour dans la région, bien résolues cette fois-ci à soumettre ces populations. Les Phnong tenteront alors de réactiver les alliances entre les villages, mais leurs attaques se heurteront cette fois à une répression efficace et déterminée: le bombardement des villages et la destruction des stocks de nourriture entraînent des redditions en chaîne, jusqu'à la fin de l'insurrection en 1935 avec la mort de Pa Trang Loeung, le charismatique leader tué par les Français.

Présentant les populations autochtones comme des sauvages, la France justifie alors ses actions au Cambodge, comme dans ses autres colonies, par une mission "civilisatrice" qui suscitait des questions au sein même de l'administration française. Adhémard Leclère écrivait ainsi: « je me demande, si, quand nous aurons civilisé tout ce pays, occidentalisé ces calmes et douces populations, vêtus ces hommes nus, nous leur aurons apporté le bonheur… ».