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Norodom Sihanouk et l'indépendance

Norodom Sihanouk est la grande figure politique du Cambodge de la seconde moitié du 20e siècle. Nommé à dix-huit ans roi d’un pays encore sous protectorat français, il le fera accéder à l’indépendance. Né en 1922 à Phnom-Penh, Sihanouk est le descendant des deux branches rivales qui se disputent l’accès au trône sous le protectorat français, les Norodom, par son père, et les Sisowath, par sa mère. 

Après avoir fréquenté les écoles françaises de Phnom Penh, il intègre le lycée Chasseloup-Laubat de Saigon pour y préparer un baccalauréat de philosophie. Mais il devra rentrer précipitemment au Cambodge dès 1941, lorsqu’à la mort de son grand-père le roi Sisowath Monivong, il est appelé à lui succéder. Plus tard, il écrira dans ses mémoires avoir été choisi par l'administration française en lieu et place de Sisowath Monireth, son oncle et fils de Sisowath Monivongdans l'espoir que Sihanouk soit plus facile à manœuvrer. 

L'indépendance de 1945


En mars 1945, le Japon, dont la situation est critique dans la guerre du Pacifique, souhaite éviter une incursion alliée sur le territoire de l'Indochine française et s'empare de la totalité du territoire. Les civils, fonctionnaires et militaires français survivants sont internés. Le 18 mars, pressé par les Japonais, Norodom Sihanouk proclame l'indépendance du Cambodge et crée un poste de premier ministre qu'il occupe lui-même. Son Ngoc Thanhdirigeant nationaliste exilé à Tokyo ramené au Cambodge par les Japonais, devient ministre des affaires étrangères et joue bientôt les premiers rôles au sein du gouvernementDans la nuit du 8 au 9 août, quelques heures avant le bombardement atomique de Nagasaki, Son Ngoc Thanh s'auto-proclame premier ministre avec le soutien des militaires japonais

Après la capitulation du Japon, Son Ngoc Thanh tente de maintenir son pouvoir en s'appuyant sur les différents groupes rebelles khmers issarak, mais Norodom Sihanouk dépêche Monireth auprès des Français pour leur faire savoir que son royaume souhaite mettre fin à l'indépendance et demeurer auprès de la France. Le général Leclerc, chef du Corps expéditionnaire français en Extrême-Orient, se rend lui-même à Phnom Penh pour neutraliser Son Ngoc Thanh, arrêté le 15 octobre. Le protectorat est rétabli, mais les Français se trouvent néanmoins confrontés à des revendications nouvelles: Sisowath Monireth, nouveau chef de gouvernement, réclame plus d'autonomie pour son pays.


L'après-guerre: premiers pas vers l'indépendance


Si la situation du Cambodge à la fin de la Seconde Guerre mondiale est loin d'être aussi tendue qu'au Viêtnam, la France a compris la nécessité de faire évoluer le statut du pays, autorisant la création de partis politiques, et d'une assemblée consultativeEn 1946, le parti démocrate, proche des milieux indépendantistes, remporte les élections, malgré les manœuvres d’intimidation de la France. Sisowath Youtevong, dirigeant du parti, devient le nouveau chef du gouvernement. Mais son décès prématuré en 1947 précipite le parti dans la crise et les divisions, entraînant une instabilité ministérielle, dont Sihanouk profite en 1949 pour dissoudre l'assemblée, sans organiser de nouvelles élections, prétextant l'insécurité régnant dans certaines régions.

Parallèlement, Sihanouk négocie avec la France ce qu'il appellera une "indépendance à 50%" en signant en novembre un traité substituant au protectorat une autonomie du Cambodge au sein de l'Union française. La France garde le contrôle de l’économie et de la défense mais fait des concessions en matière de relations extérieures: le Cambodge peut recevoir des délégations diplomatiques, préalablement accréditées par l'administration coloniale, et envoyer des représentants à l’étranger. D'autre part, le Cambodge peut rejoindre certaines organisations internationales comme l’OMS ou l’UNESCO même si un veto russe l'empêche encore d'entrer à l'ONU.

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Norodom Sihanouk en 1949 à Angkor

Disparition de l'opposition politique


En 1951, les démocrates remportent à nouveau les élections. Sihanouk obtient alors de la France la libération du nationaliste Son Ngoc Thanh et son retour au Cambodge, espèrant ainsi diviser le parti. 
Son Ngoc Thanh est accueilli à Phnom Penh par une foule enthousiaste. Mais, dès 1952, il rejoint les maquis de la forêt de Siem Reap, revendiquant une indépendance immédiate.

Les démocrates décident de ne pas envoyer 
de forces miltaires à Siem Reap contre Son Ngoc Thanh, ce qui détériore encore leurs relations avec le roi. La tension atteint son pic lorsqu'à Battambang, la police tire sur la foule lors de manifestations pour l'indépendance qui dégénèrent en émeutes. En juin, dans son discours d’ouverture de la session parlementaire, où le parti démocrate est largement majoritaire, Sihanouk met en garde contre les risques de dérive résultant d’un parti unique, tandis que les démocrates font arrêter des dirigeants de partis d'opposition.


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Portrait de Sihanouk en 1956

Le 14 juin, la France envoie à Phnom Penh un bataillon d’infanterie et un escadron armé, officiellement afin de prévenir des troubles. Mais le lendemain, les troupes coloniales encerclent l’assemblée et contrôlent les principales rues de Phnom Penh. Dans le même temps, Sihanouk utilise une des prérogatives que lui offre la constitution pour dissoudre le gouvernement et prendre la tête d’un nouveau cabinet, promettant d’éradiquer la corruption et d’obtenir l’indépendance totale avant 1955.
Mais Sihanouk ne s'arrête pas là et demande en 1953 au parlement des pouvoirs spéciaux, prétextant des grèves lycéennes, ainsi que l’assassinat d’un gouverneur de province. Le roi attribue la responsabilité de ces troubles à Son Ngoc Thanh et reproche aux démocrates de le soutenir. Face à leur refus, Sihanouk fait encercler l’assemblée par les troupes et la dissout. Dix-sept démocrates sont emprisonnés pour « complot contre l’État » durant huit mois sans aucun jugement. L’opposition politique venait de disparaître.

La conquête de l'indépendance


En février, Sihanouk part en France, officiellement pour des vacances, en réalité pour négocier plus de concessions. Jusqu'ici, la France avait soutenu le roi dont la francophilie semblait la prémunir de demandes inconsidérées, espérant pouvoir préserver ses intérêts militaires et économiques. Mais Sihanouk, devenu un fin stratège politique, avait compris que la domination des Français en Indochine touchait à sa fin et militait désormais pour l’indépendance du Cambodge.

N’obtenant aucun résultat, le roi écourte sa visite et décide de rentrer en passant par les Etats-Unis, qui le mettent en garde contre une indépendance prématurée. Désabusé, Sihanouk affirme dans une interview au New York Times que si l’indépendance était reportée, les Cambodgiens pourraient "se révolter contre le régime actuel et rejoindre le Viet Minh". Peu après sa publication, la France fait savoir qu’elle accepte de rouvrir les négociations avec les émissaires du roi restés à Paris.

De retour au Cambodge, Sihanouk déplace son quartier général à Siem Reap et assaille l'administration française de demandes. Il bénéficie du soutien populaire, les Khmers considérant que les Français devaient partir. Le commandant militaire français au Cambodge rapporte alors que la situation y est désespérée, affirmant qu’une victoire militaire nécessiterait quinze bataillons coloniaux supplémentaires. 

Sihanouk ne voulant pas lier le destin de son pays à celui du Laos ou du Vietnam, les Français acceptent de négocier avec lui de la seule question cambodgienne. Négocier avec le Cambodge permet à la France engluée dans la guerre d'Indochine de déplacer ses troupes sur d’autres fronts. En août, un accord est trouvé sur le transfert des pouvoirs en matière de police et de justice. En octobre, après des difficultés sur la question des forces armées, une convention est signée. Enfin, le 9 novembre 1953, l’indépendance du Cambodge est officiellement proclamée. Au début de 1954, de nouveaux transferts en matière diplomatique et économique consacrent la pleine indépendance du royaume, que les accords de Genève signés en juillet font reconnaître au niveau international.