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Minorités ethniques du Cambodge

Si les Khmers constituent la très grande majorité de la population du Cambodge, ce pays, considéré comme l'un des plus "homogènes" d'Asie du sud-est, n'en compte pas moins de 20 à 30 minorités ethniques, qui ne représentent toutefois qu’environ 1,4% de la population du CambodgeLes différents groupes minoritaires présents au Cambodge sont d'une part les Vietnamiens, les Chinois, les Chams, et d'autre part le groupe des peuples indigènes. 

Les peuples indigènes du Cambodge


MnongKuyS'aochTampuanJaraï, Moï, Kreung, Brao, Kachok, Kravet, Phnong, Môn, Stieng...: les "peuples indigènes" ou "peuples autochtones" désignent des populations ayant des liens étroits avec leur terre d'origine et une identité culturelle spécifique. Ils vivent essentiellement sur les hauts plateaux du nord-est, dans les provinces du Mondolkiri, du Ratanakiri, de Stung Treng et de Kratie. Si elles ne représentent qu'environ 100 000 personnes au total, sur une population de 15 millions de Cambodgiens, les minorités sont paradoxalement majoritaires dans les régions du Ratanakiri et du Mondolkiri, restées longtemps indépendantes du fait de leur isolement géographique avant d'être annexées tardivement au Cambodge sous le Protectorat français.

Leurs conditions de vie sont assez précaires, du fait de techniques de travail et de méthodes agricoles rudimentaires. L'isolement géographique dans des régions difficiles d’accès entrave leur développement économique et la plupart de ces groupes souffrent d’exclusion sociale. Plus encore, le patrimoine culturel de certaines minorités se trouve aujourd'hui menacé de disparaître, suite à de multiples bouleversements: colonisation, tracé aléatoire des frontières, guerres du 20e siècle, politiques d’intégration, déforestation, le tout dans un contexte de globalisation accélérée... 

Les minorités sous le protectorat français


Sous le Protectorat français, entre 1853 et 1963, les membres des minorités sont massivement employés pour travailler dans les plantations d’hévéas, de thé ou de café sur les hauts plateaux, ou pour des travaux d’aménagement du territoire: construction de routes, de bâtiments administratifs... Les français s'attaquent en outre à la culture traditionnelle sur brûlis que pratique depuis la nuit des temps les minorités du nord, avec les mêmes arguments erronés que le pouvoir politique actuel, reprochant à cette technique de détruire la forêt et de fournir des récoltes insuffisantes pour nourrir les populations. Or, les rendements des cultures sur brûlis peuvent au contraire dépasser ceux des rizières irriguées et permettent également à la forêt de se régénérer. Malgré tout, les langues et les cultures indigènes semblent relativement préservées durant cette période, où les français devront faire face à une révolte de 1912 à 1914 qui les éloignera des hautes terres jusqu'aux années 30.

Avant la colonisation, les hauts plateaux occupés par les minorités étaient des territoires autonomes où il n’existait aucune frontière internationale. Voilà ce qui explique pourquoi les groupes ethniques sont pour la plupart des communautés transnationales avec d'autres pays: ainsi, les Jaraï, les Brao et les Kravet sont également présents au Laos, les Phnong et les Stieng au Viêtnam, les Kuy en Thaïlande et au Laos... C'est la France qui traça les premières frontières, sans concertation avec ces populations. De nombreux groupes se retrouvèrent à cheval sur plusieurs pays. Aujourd'hui, il existe toujours des échanges transfrontaliers entre membres d’une même communauté, et s'ils ont conscience de l’existence de cette frontière, les indigènes la traversent fréquemment pour migrer, faire du commerce ou simplement rendre visite à leur famille.

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Village Moï au Cambodge

Khmérisation, bombardements et déportation


A la fin de la période coloniale, le Vietnam, le Laos et le Cambodge se partagent les hauts plateauxqu'ils considèrent comme des terres inexploitées. Pour ces pays, il s’agit alors d’investir ces régions, et donc d’en intégrer les habitants. Le Cambodge  adopte ainsi une politique de khmérisation, qui se concrétise par des vagues de migrations khmères vers les hautes terres, avec pour objectifs:
- d'occuper un territoire fragile, cible potentielle de pays voisins.
de faire "évoluer" les populations autochtones vers le modèle culturel khmer. 
- d'exploiter les ressources "inutilisées".  

Pour inciter les Khmers à s’installer dans ces régions reculées, l'Etat leur propose primes et terres cultivables. Les régions du Ratanakiri et du Mondolkiri sont également créees afin de mieux contrôler ces territoires. Néanmoins, cette politique n'a eu qu'un succès relatif, on craignait encore beaucoup les populations indigènes à cette époque et seuls quelques 3000 colons ont migré vers le Ratanakiri entre 1955 et 1970. Malgré tout, les conséquences ont été lourdes pour les populations locales, parfois chassées de leurs terres ou réduites à servir de main d’œuvre. 

Dans le même temps, les Khmers Rouges commencent à s’implanter dans les hautes terres, gagnant parfois la confiance des minorités. Dès 1968, ils contrôlent tout le nord et appuient la révolte des minorités du Ratanakiri, qui se soulèvent contre la politique de khmérisation. Durant la guerre du Vietnam, les hauts plateaux du Cambodge servent également de refuge aux guérillas communistes, entraînant des bombardements américains massifs qui font de nombreuses victimes dans les populations indigènes. Beaucoup fuient vers le Laos ou le Vietnam dès 1971. 

En 1975, après la prise de Phnom-Penh, le régime Khmer Rouge n'épargne pas les minorités: leurs pratiques religieuses sont strictement interdites, les villageois situés dans les zones les moins reculées sont déportés vers les plaines pour servir de main d’œuvre dans des coopératives et des camps de travail. En 1979, quand les troupes vietnamiennes envahissent le Cambodge et mettent fin au régime de Pol Pot, on estime que 15% de la population indigène aurait péri, soit environ 9000 personnes, chiffre qui ne tient pas compte des nombreuses victimes de la famine et des bombardements américains. Le Vietnam occupera le pays pendant une décennie. Durant cette période, les rescapés des minorités ethniques regagnent progressivement leurs terres. 

Vers une assimilation?


En 1993, les premières élections nationales sont organisées, lançant le processus de reconstruction du Cambodge qui tente de s’affirmer en tant qu’état-nation. Cette volonté politique implique l’intégration sociale et économique des populations indigènes, sur la base d’une identité nationale unique, ignorant les spécificités culturelles. Ce processus affaiblit encore les minorités, menaçant leur langue, leur culture, leur organisation sociale ou bien encore leurs pratiques agricoles: pour faciliter le processus de khmérisation, l'Etat tente ainsi de sédentariser les populations autochtones, expliquant que leur agriculture traditionnelle sur brûlis serait destructrice. Mais c'est au contraire cette politique de sédentarisation  qui s'avère destructrice: en fixant les populations sur des terres définies, elle ne permet plus à la forêt de se régénérer, épuisant ainsi les sols. 

Depuis, le Cambodge poursuit cette même politique d'unification, et par conséquent d'assimilation des groupes autochtones. Pour favoriser la colonisation et le développement économique de ces régions, l’Etat a rénové le réseau routier, grâce à l’aide internationale. Ainsi, depuis 1998, les migrations spontanées s'intensifient: Khmers mais aussi Chams, Vietnamiens et Chinois, s'installent sur les hauts plateaux, pour en exploiter les ressources naturelles, notamment l’or et les pierres précieuses, ou y développer des cultures commerciales: café, noix de cajou, huile de palme, poivre, hévéa, avocat... Ces migrations sont souvent mal perçues par les minorités, profondément liées à la terre dont elles dépendent, car cette pression démographique et humaine croissante entraîne des problèmes fonciers et environnementaux. 

D'une part, les ressources naturelles sont exploitées de manière irresponsable en vue de profits immédiats, avec de lourdes conséquences environnementales. La destruction des forêts est notamment un grave problème au Cambodge, crucial pour la survie de nombreuses minorités ethniques. L’Etat cède ainsi de grandes parcelles à des firmes étrangères sans tenir compte des populations indigènes qui y vivent. La perte et la destruction de ces zones, qui pouvaient être sacrées, ou destinées à la cueillette, la chasse, ou encore laissées en jachère... menacent directement le mode de vie des indigènes, intimement lié à leur environnement naturel. Une campagne contre les coupes illégales a été initiée en 1999 face aux pressions internationales, mais avec des résultats peu brobants...

D’autre part, l'accroissement démographique entraîne une augmentation des surfaces cultivées, à laquelle se superpose un problème de droit foncier. Au Cambodge, la terre appartient à celui qui la cultive: toute terre considérée comme inexploitée peut être cultivée par quiconque souhaite l'exploiter. De nombreux indigènes ont ainsi vu leurs terres en jachère volées ou achetées à prix dérisoire. Face aux nombreuses plaintes des populations autochtones et aux pressions internationales, le gouvernement a réagi en 2001 en votant une loi foncière spécifiant le droit à la propriété des populations indigènes: les terres laissées en jachère ne sont plus considérées comme disponibles. Mais, sans contrôle effectif, tant sur la déforestation que sur le respect des lois foncières, les minorités n’ont d'autre choix que de s'adapter aux nouvelles règles imposées par la population dominante.