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La province de Ratanakiri

La province de Ratanakiri est située sur les hauts-plateaux du nord-est du Cambodge, une des régions les moins accessibles du paysoccupée de longue date par des populations montagnardes, les Khmers Loeu, littéralement "Khmers d’en haut". Le Ratanakiri est la seule province du pays où l'ethnie khmère est minoritaire.

Géographie et environnement


Le Ratanakiri est bordé par le Laos au nord, le Vietnam à l’est et les provinces cambodgiennes de Mondolkiri et Stoeng Treng. Sa géographie, variée, se compose de collines, de montagnes, de plateaux, de plaines et de cours d'eau sinueux. Les hauts plateaux situés entre les rivières Tonlé San et Tonlé Srepok abritent la majeure partie des 150000 habitants de la province.


Cette province est connue pour ses forêts denses qui abritent des écosystèmes parmi les plus diversifiés des forêts tropicales humides. La faune locale comprend des éléphants d’Asie, des ours malais, des tigres... Près de la moitié du Ratanakiri est occupée par des zones protégées, mais son développement actuel, avec l’accroissement de la population, l’intensification de l’agriculture et de l’exploitation forestière, engendre des problèmes environnementaux: érosion des sols, diminution de la biodiversité... L’exploitation forestière du Ratanakiri, largement illégale, a ainsi été décrite par un anthropologue de la banque asiatique de développement comme une « urgence humanitaire. »


Cette région connaît un climat tropical avec une saison sèche de mars à mai, une saison des pluies de juin à octobre et une saison "froide" de novembre à février, la plus froide de tout le pays avec une température moyenne de 24°C... Les inondations, fréquentes pendant la mousson, s'accentuent depuis la mise en service d'un barrage sur le Tonlé San.



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Carte de la province du Ratanakiri

Le Ratanakiri hier et aujourd'hui


La région est occupée depuis l'âge du bronze et le commerce entre les populations montagnardes et les villes du golfe de Thaïlande remonte au moins au quatrième siècle. Jusqu'au 19e siècle, la région fut occupée par l'Annam, le Champa, l’empire khmer ou le Siam, au gré des conflits entre ces empires. En 1893, la région fut intégrée à l'Indochine française et la France y développa de grandes plantations d’hévéas, réquisitionnant des travailleurs indigènes pour leur construction et la récolte du caoutchouc. 
Après la fin du protectorat en 1953, Norodom Sihanouk lance une campagne de développement et de "khmérisation" dans le nord-est du pays. Alors que des représentants de l’ethnie khmère s'installent dans la province, des Khmers Loeu sont déplacés dans les plaines, contraints de s’éduquer à la langue et à la culture khmères. En 1968, des émeutes indigènes font plusieurs victimes khmères, entraînant une réponse brutale et meurtrière du gouvernement.
Reculé et inaccessible, le Ratanakiri servit de base arrière pour les Khmers rouges qui exploitèrent le ressentiment des Khmer Loeu envers le gouvernement pour s’allier à eux, et pour le Việt Cộng, également très présent et actif dans cette zone. En réponse, les Etats-Unis lancèrent une campagne de bombardement intensif, forçant les villageois à se réfugier auprès des Khmers Rouges, qui devinrent de plus en plus brutaux envers les Khmers Loeu, poussés à fuir au Laos ou au Vietnam. Après la chute du régime en 1979, les Khmers Rouges se retranchèrent dans les forêts d'où ils menèrent une guerilla jusqu’en 2002.

Aujourd'hui, le gouvernement encourage le tourisme et l’agriculture, mais le Ratanakiri demeure une des provinces les plus pauvres du pays et le système routier, très précaire, reste un frein au développement de la région. La majeure partie des habitants vit d’une agriculture vivrière mais beaucoup ont également tendance ces dernières années à développer une agriculture commerciale: noix de cajou, arachide, mangue, tabac... Il existe aussi une agriculture à plus grande échelle qui consiste en plantations de palmiers, de maïs et d’hévéas. 

Mais le Ratanakiri possède d'autres atouts avec ses paysages naturels préservés, ses villages traditionnels de minorités ethniques... et le tourisme s'y développe rapidement, mais les revenus générés ne profitent que peu aux communautés locales. Ban Lung, la capitale provinciale de 25000 habitants, qui offre des commerces et hôtels plus ou moins conformes aux standards occidentaux, accueille la plupart des visiteurs. Située au centre de la zone montagneuse, elle offre de nombreuses excursions, vers les villages des tribus Khmers Loeu, les chutes d’eau, la jungle, les mines de pierres précieuses, le lac volcanique de Yeak Leom aux eaux limpides...


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Maisons de célibataire, Ratanakiri, Lukas Bergstrom

Les minorités ethniques


Le terme de Khmer Loeu regroupe différentes ethnies: les Tampuan, les Jaraï, les Kreung, les Bru, les Kachok, les Kavet, les Kuy... Chacune a sa propre langueses coutumes et son organisation sociale, mais certaines similitudes permettent cependant de les rapprocher. 

Les Khmers Loeu sont très majoritairement animistes: selon leurs croyances, forêts, rochers, chutes d’eau, étangs... peuvent être habités par des espritsIls pratiquent généralement une agriculture itinérante basée sur le brûlis et habitent de petits villages construits dans des clairières gagnées sur la forêt, qu'ils dirigent collectivement mais dont l’organisation varie selon le groupe ethnique. Par exemple, les maisons Kreung sont réparties de manière circulaire autour de la maison commune alors que les grandes maisons Jaraï sont habitées par des familles élargies et subdivisées en de plus petits espaces par des cloisons de bambou

Les pères dont les filles atteignent la puberté doivent leur une "maison de célibataire" à côté du foyer familial, où elles peuvent recevoir qui elles veulent. Les garçons Kreung ont eux aussi droit à une maison de célibataire à la pubertéLes frontons des habitations sont ornés de motifs géométriques en bambou tressé, variables selon les ethnies. Traditionnellement, les villages étaient protégés par une palissade et des pièges en bambouÀ l’extérieur, se trouvent un point d’eau et le cimetière, lieu de nombreuses cérémonies dédiées aux esprits.

À cause de la forte prévalence de la malaria et de son éloignement, le Ratanakiri est resté isolé jusqu’à la fin du vingtième siècle. Mais son ouverture à l'extérieur provoque aujourd'hui des bouleversements culturels, notamment à proximité des routes et des chef-lieux de district: standardisation de l’habillement et de l’alimentation, perte du respect envers les aînés et clivage entre les anciens et les jeunes, de plus en plus réticents à se conformer aux traditions et aux croyances. Le défi contemporain du Ratanakiri est donc double: concilier le développement économique de la région à une sauvegarde des identités culturelles et de l'environnement.