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Koh Ker et la vocation funéraire des temples khmers

Quelle était la véritable fonction des temples d'Angkor? La cité d'Angkor, très dense et très étendue, résultait elle-même de l'agglomération de plusieurs cités construites autour des grands temples royaux par les souverains qui se sont succédés à la tête de l'Empire Khmer. Chaque règne était un recommencement et chaque souverain devait construire son propre temple royal, étendant ainsi progressivement la cité. Pourquoi chaque roi devait-il édifier un nouveau temple?

L'archélogue français Eric Bourdonneau cherche les réponses à ces questions à Koh Ker, capitale éphèmère de l'Empire Khmer au 10e siècle, qui fût abandonnée à l'issue règne de Javayarman IV vingt ans seulement après sa construction. Le temple royal de Koh Ker est le plus grand de l'histoire de l'Empire khmer. Son accès est ponctué d'une succession de chapelles, "prasat", qu'il faut traverser avant d'atteindre la pyramide principale qui culminait à trente mètres de haut. Au sommet se trouvait un linga, un gigantesque cylindre de pierre de plus de quatre mètres de hauteur et d'un à deux mètres de diamètre, un symbole phallique représentant Shiva.


Reconstitution de la statue colossale de Shiva


Le temple a été largement pillé dans les années 1990. Pour reconstituer et comprendre le temple, Eric Bourdonneau doit se livrer à une véritable enquête, concentrant ses recherches sur les différentes chapelles qui ponctuent l'accès à la pyramide principale. Il reconstitue d'abord virtuellement à partir de dix mille fragments la statue colossale qui se trouvait dans la première chapelle. Haute de plus de cinq mètres, elle représentait Shiva, dieu créateur et destructeur dans une position de danse, entourée d'Uma, son épouse bienveillante, de deux joueurs de tambour et de Kali, l'épouse terrible du dieu. Cette première chapelle du temple constituait en quelque sorte une antichambre de l'au-delà, la première étape d'un parcours symbolique.

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Reconstitution virtuelle de la statue de Shiva dansant
dans la première chapelle du temple de Koh Ker


Scène de jugement des morts


Dans la chapelle suivante, l'archéologue a d'abord dégagé avec son équipe les piédestaux des huit statues qui s'y trouvaient. C'est à partir d'un fragment de statue qu'Eric Bourdonneau va faire une découverte capitale: la statue que l'on identifiait comme Shiva sur un taureau représentait en réalité Yama, dieu de l'empire des morts, sur un buffle. Puis il découvre que la statue qui faisait face à Yama, ramenée par Louis Delaporte et conservée au musée Guimet, représentait en réalité le roi Javayarman IV et non pas une divinité masculine. L'ensemble constitue donc une scène de jugement des morts où le roi fait face au dieu des enfers. Cette seconde chapelle marque donc le seuil et le passage dans le domaine de la mort.


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Reconstitution virtuelle de la seconde chapelle de Koh Ker










Préparer le roi à l'au-delà


Mais l'archéologue s'est également intéressé à une colline de quinze mètres de haut située à l'arrière du temple montagne, une anomalie dans cette vaste plaine. Il découvre qu'elle est en réalité constituée de cendres et de charbon, qui pourraient provenir d'un gigantesque bûcher funéraire. 
Les recherches d'Eric Bourdonneau tendent donc à montrer que la fonction du temple de Koh-Ker était funéraire, renouvelant ainsi la compréhension des temples khmers et apportant une réponse à la question première: pourquoi chaque roi khmer devait-il faire ériger un nouveau temple qui lui soit propre? Temples d'état, ils avaient d'abord pour fonction de protéger l'empire pendant le règne du roi, mais également de préparer son au-delà, prenant ensuite une vocation funéraire. C'est cette dimension nouvelle des temples khmers qu'a mise  jour l'enquête d'Eric Bourdonneau, pouvant ainsi expliquer la nécessité pour chaque roi d'édifier un nouveau temple.